Union Académique Internationale

L’Homme face aux changements climatiques dans la préhistoire

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Projet nº92, adopté en 2017

Depuis les origines de la recherche préhistorique, les variations du climat et ses influences sur le peuplement des premiers hominidés sont apparues aux pionniers de l’archéologie préhistorique non seulement comme une évidence mais aussi comme la preuve de l’ancienneté de l’humanité. Édouard Lartet découvrit en 1864, lors des fouilles de l’abri sous-roche de La Madeleine dans le Périgord, un mammouth gravé sur un fragment de défense de mammouth. Il démontra ainsi la cohabitation de l’espèce humaine avec une espèce éteinte vivant sous un climat glaciaire. À la fin du XIXe siècle, les découvertes de faunes froides et chaudes se sont multipliées, montrant que l’humanité avait dû faire face avec succès à des changements climatiques importants révélant l’alternance de périodes glaciaires et interglaciaires. Au début du XXe siècle, les travaux de glaciologie de Penck et Brückner (1901-1909) sur les vestiges des moraines du front glaciaire dans les Alpes ont mis en évidence pour la première fois la succession des périodes glaciaires appelées Würm, Riss, Mindel, Gunz. La recherche s’est également étendue aux rivières qui, du fait de climats alternés, par envasement ou surcreusement, créent des vallées avec des terrasses, prouvant ainsi le très vieil âge des découvertes de Casimir Picard et Boucher de Perthes dans la vallée de la Somme entre 1830 et 1860.

Il n’est donc pas surprenant que les préhistoriens soient devenus les premiers paléoclimatologues de l’histoire des sciences. Les carottes spectaculaires des glaciers du Groenland et du continent antarctique ne doivent pas occulter les nombreuses autres méthodes de reconstruction climatique, qui permettent le calcul de courbes de paléo-température, de paléo-précipitations ou encore d’autres courbes : séquences de lœss et de sols fossiles (à la périphérie des calottes glaciaires), séquences sableuses et des sols fossiles (dans les zones désertiques), carottes océaniques et méditerranéennes (issues de l’inventaire des espèces minérales-squelettiques, comme les foraminifères ou les coccolithoforides, particulièrement sensibles aux changements de température océanique), séquences stratigraphiques de les abris sous roche et grottes, carottes dans les sédiments volcaniques lacustres (maar), dans les lacs de montagne ou dans les marais (tourbières) pour extraire le pollen, altitudes des rivages fossiles, etc.

La paléoclimatologie moderne est née dans les années 1970, avec la multiplication des méthodes de forage profond. Cette nouvelle science est multidisciplinaire utilisant l’ingénierie des forages profonds (issu de l’industrie pétrolière), l’échantillonnage (bulles d’air, pollens, fossiles, etc.), la détermination des espèces fossiles, les mesures isotopiques (pour la courbe O18 / O16), les mesures de susceptibilité magnétique, les mesures géochimiques (oxygène, azote et CO2 des bulles d'air), la datation absolue (pour synchroniser les séquences), le traitement du signal (pour comparer les courbes obtenues ayant une sédimentation différentielle et les écarts), les traitements statistiques (pour calculer les fonctions de transfert), la modélisation mathématique (modèle de circulation atmosphérique, modèle de transition climatique, etc.).

Certaines de ces méthodes permettent uniquement de construire des courbes de paléo-température. C’est notamment le cas des carottes de la calotte glaciaire (courbes O18 / O16). D’autres permettent également la construction de courbes de paléo-précipitations, encore plus utiles pour les peuplements préhistoriques car l’humidité augmente la croissance de la végétation dont se nourrit la faune herbivore, et que les prédateurs (carnivores et chasseurs) consomment à leur tour. C’est le cas des espèces fossiles animales et végétales, pour lesquelles des analyses multidimensionnelles permettent de mettre en évidence l’axe de température et l’axe d'humidité à partir desquels se construisent les paléo-courbes (pollens, foraminifères, rongeurs, etc.).

Pour les chasseurs-cueilleurs, pendant le dernier million d’années du Pléistocène, le peuplement dans une région géographique, la localisation des sites archéologiques, le territoire de déplacement des groupes humains, la gestion des ressources alimentaires au cours du cycle annuel, la culture matérielle (industrie lithique, industrie osseuse, de l’ivoire et du bois de cerf), l’art animalier figuratif (comme au Sahara), le franchissement ou non de cols et détroits sont autant d’informations qui permettent de mettre en évidence l’adaptation des groupes humains aux changements climatiques.

Pour les agriculteurs/éleveurs, les variations climatiques des douze derniers millénaires de l’Holocène ont été nombreuses : Holocène ancien chaud et humide, événement froid de 8200 BP, événement aride de 4200 BP, événement aride de 2400 BP, optimum de l’empire romain (200 avant notre ère - 400 de notre ère), optimum climatique médiéval (Xe-XIIe siècle), petite période glaciaire (XIIIe-XIXe siècle). Ces variations ont eu des conséquences considérables pour les sociétés agropastorales sédentaires : désertification du Sahara, émigration depuis le Moyen-Orient et néolithisation de l’Europe, abandon de l’agriculture pour le pastoralisme, aménagement paysager pour l’irrigation (réservoirs du Nil, canaux d’irrigation en Asie centrale et en Mésopotamie, drainage des deltas, terrasses sur les pentes de montagne, etc.). La nécessité d’un tel travail communautaire est probablement à l’origine de la première appropriation étatique des sociétés. Mais ces structures encore fragiles ont également été victimes d’épisodes froids et arides qui ont provoqué un effondrement comme pour les épisodes de 8200 BP et 4200 BP.

Ce sont les études sur les relations entre les sociétés humaines des origines aux temps historiques et le climat qui font l’objet du projet que l’UISPP a proposé à l’UAI pour la période 2019-2023.